colorblind

J’ai essayé d’être parfait, de croire en moi mais plus j’y crois plus je m’efface. On m’a poussé trop loin trop tôt et dieu ne sera pas miséricordieux. J’avais tout pour moi, dont l’argent sale de la mafia russe, dès mes premiers pas. C’était il y a trente-six ans, en Russie. On ne m’a pas vraiment laissé le choix, une sorte de sélection naturelle. Mon père ne m’a pas appris à conduire mais à survivre, à viser la tête. Il est mort jeune, à l’aube de sa vie, dans une fusillade. Un faux braquage pour un vrai meurtre. Je le sais parce que j’y étais, du haut de mes douze ans. Je peux encore revoir cette mare de sang sous mon poids et sentir à nouveau cette pression au fond de mes entrailles, cette force invisible qui me priait d’en finir, de fermer les yeux. Plus féroce, j’ai entamé une lourde rééducation dans une petite bourgade russe à l’abris des regards. J’avais soif de vengeance qu’ils disaient. Il était encore si loin du compte. Je suis vite devenu incontrôlable, l’enfant avant la terreur. Mon sourire dissimulait mes vices et ma violence omniprésente. Elle, ma seconde peau. Ils m’ont recruter dans les services secrets russes à l’âge de quinze ans. Tuer un gosse c’est pas toujours facile alors ils m’ont engagé, moi, le rejeton de Polakov. Si mes souvenirs sont bons, ce job était des plus ennuyeux. J’étais coincé, pris dans les filets d’une organisation aux desseins incertains.

Los Angeles, la côte ouest, ou 3 795 859 de connards obèses croient encore pouvoir changer la face du monde, affalés sur le canapé familiale, devant Avengers, la main dans le paquet de chips. C’est aussi ça l’humanité. Quand j’ai débarqué là-bas pour la  toute première fois, j’avais 18 ans. Je vivais encore pour servir les services secrets. Au final, indirectement, je m’en suis détourné, presque malgré moi. Je voulais étudier les sciences politiques, devenir quelqu’un, être connu et reconnu de tous ces abrutis pour ne plus agir dans l’ombre. Et puis je suis tombé amoureux, une fois, deux fois mais pas suffisamment, non, pas suffisamment pour faire tomber le masque. Je suis resté l’animal sauvage qu’on voulait voir. Le requin des affaires, le lion, roi sur les hommes. Au final, je suis entré dans la Bratva à l’âge de 28 ans, l’année suivante, je suis entré au sénat américain.

J’ai plus été le même ensuite. Je suis devenu un brin paranoïaque.
« Tu vois ce flash ? » Il m’a regardé incrédule, il ne voyait pas même où je voulais en venir mais il a finalement hoché la tête. Un bleu. « Tu vas me rattraper ce connard. Maintenant. » Il était con mais, ce petit nouveau, Vassily, se révéla être un sprinteur remarquable. Oui, moi je suis resté sur le trottoir à chronométrer et à rire de l’infortune de ce journaliste avec des membres de la Bratva. C’est pour ça que ce type est mort, on n’expose pas au monde mon affiliation à la mafia russe si facilement. Je l’ai regardé se faire couper les doigts sans broncher alors qu’il me suppliait d’arrêter son supplice. Je me suis débarrassé de ma chemise. L’homme a viré au désespoir, il ne m’a plus adressé la parole. J’ai pour ainsi dire tous les tatouages du petit mafieux ruskov collés au corps dont le loup : symbole de l’infiltration. « Crois-moi. Désormais, tout ira bien. » Et j’ai tiré, une balle dans la tête à bout portant sans hésiter, sans sourciller. Il est aujourd’hui encore porté disparu. Il faut dire qu’un corps brûlé, sans tête et sans doigts c’est pas toujours facile à identifier. Je ne suis pas un enfant de coeur, j’ai peut-être même jamais été un enfant.  

J’ai toujours trouvé les réunions Bratva-MIA ridicules. On n’appartient pas au même monde. Pour la simple et bonne raison qu’on ne mélange pas les torchons et les serviettes. On infiltre le gouvernement, les grandes compagnies américaines, les plus hautes sphères de l’économie. On nous mange déjà dans la main. Alors oui, tenir des bordels et des casinos est insuffisant à mes yeux. Ces réunions me laissent perplexe. On va nous ordonner de ne pas se tirer dans les pattes, quelques égos vont ressurgir, on va se taper dessus ou non et après quoi, on va simplement rentrer chez nous avec un possible débriefing sur la route. Enfin ça, c’était avant de croiser sa route. Celle de Kendall plus précisément. Sa présence m’intriguait, une femme si jeune dans ce genre de réunion. J’avais forcement envie d’en savoir plus, elle avait comme attisé ma curiosité, déjà, et il m’en faut beaucoup. Il m’en faut beaucoup pour me retourner sur une femme, ou plutôt pour m’intéresser sincèrement à elle. J’ai demandé à savoir plus, officieusement, pour ne pas paraître suspect en mon propre camp. Et puis, j’ai commencé à fréquenter sa librairie, innocemment, pour la voir elle et finalement, je me suis pris un peu trop au jeu.