Quelqu'un sonne ? C'est sûrement Shawn. Ça lui arrive des fois de me faire des surprises. Il vient me voir sans que ce soit prévu et ça me fait autant plaisir à chaque fois. Du coup, le film que je regardais n'avait plus du tout le même intérêt. C'est en sautillant, un large sourire aux lèvres que je me rend jusqu'à la porte pour aller ouvrir. Mon visage se décompose en entendant la voix de ma soeur. Une soeur, si je peux appeler ça comme ça. Je dirais plutôt l'être qui est né pour me pourrir la vie. Mais qu'est-ce qu'elle fait ici ? Évidemment, je n'ai pas tellement le choix de la faire entrer parce que sinon je sais d'avance que dans les prochains jours je vais recevoir un appel des parents pour m'engueuler, me traiter d'ingrate et tout ce qui s'en suit.

- Tu peux entrer

C'est avec un profond soupire de découragement que j'ouvre la porte pour qu'elle entre une fois au bon étage et retourne m'installer sur le canapé. Pourquoi elle vient ici d'ailleurs ? Pour me remettre à la figure à quel point elle est parfaite ? À quel point elle est meilleure que moi ? Ou encore l'entendre critiquer sur le fait que j'habite dans un taudis dans un coin paumé de la ville. Si jamais elle ose me balancer un truc pareil, je n'hésiterai pas à lui faire remarquer qu'elle n'avait qu'à ne pas se pointer et encore moins sans avertir. La télécommande entre les mains, je change le chaînes sans vraiment porter attention à ce qu'il y avait. Ça me fou la haine parce que cette histoire m'a complètement enlevé ma bonne humeur.

- Bien sûr.. et après tu serais aller voir les parents pour dire que je ne t'ai pas laissé entrer ? J'ai pas envie d'une nouvelle avalanche de reproche de leur part..

Souvent, on peut entendre les gens dire à quel point ils sont proches de leur frère ou soeur, qu'ils peuvent compter l'un sur l'autre. En tant que jumelle, on pourrait croire que logiquement, notre relation devrait être harmonieuse, voir fusionnelle, mais c'était tout l'inverse en réalité. De son côté, elle jouait toujours la demoiselle innocente, comme si elle ne comprenait pas pourquoi je la détestais autant. Pourtant, tout est de sa faute. Laissant tomber la télécommande sur le canapé, je me retourne en sa direction.

- Qu'est-ce que ça peut te faire comment je vais ? Tu viens encore pour exposer ta supériorité ? Pour faire semblant que ma situation t'inquiète ? Rassure toi Mahé, je vais merveilleusement bien.

Ce n'était qu'à demi vrai, mais ça, elle n'était pas obligé de le savoir. Dans un sens, c'était pas si mal.. J'ai Shawn. À vrai dire, c'est tout ce qui compte. Parce que lui m'aime, lui il apprécie la personne que je suis. Quand il me regarde, je n'ai pas l'impression d'être une moins que rien, comme je me suis toujours sentie auprès de ma famille. J'ai aussi les NS. C'est une sorte de famille aussi. On est là, les uns pour les autres et c'est suffisant. Ça ne remplace évidemment pas une famille de sang, mais dans un sens, je préfère celle-là parce que je peux leur prouver que je vaux quelque chose. Sinon, avec mes parents, il n'y en a toujours eu que pour Mahélie. Le pire dans tout ça, c'est qu'elle ne semble même pas s'en rendre compte. Ça m'enrage encore plus.

Elle m'énerve, elle m'énerve, elle m'énerve! Encore là à jouer les demoiselles parfaite. Si elle croit vraiment que son discours à deux balles va réellement me faire changer d'avis sur ce que je pense et sur comment je me sens depuis que j'ai l'âge d'avoir conscience de ce qui se passe autour de moi. Elle peut bien prétendre qu'elle n'a jamais voulu de cette compétition entre nous, pourtant, jamais elle n'a levé le moindre petit doigt pour m'aider. Mais non. C'était tellement mieux de continuer à jouer à la poupée de porcelaine, si douce et si fragile qui essayait de toujours agir au mieux pour la plus grande fierté de ses parents pendant que l'affreux mouton noir de la famille se faisait pointer du doigt ses innombrables défauts.

Je me lève du canapé pour faire quelques pas en sa direction ''Toujours aussi parfaite à ce que je vois. Tu vois ? Encore une fois, c'est toi la gentille soeur qui vient prendre des nouvelles de la méchante soeur qui te repousse.. quoi que tu fasses.. quoi que tu dises.. c'est toujours la même chose..''

Je ne ferai jamais le poids dans la balance et ça vient me percuter dans l'âme chaque fois que je la regarde. Si elle savait le nombre de page de mon journal intime que j'ai pu noircir depuis ma tendre enfance en gribouillant le nom de ''Miss Parfaite''. Depuis que j'ai choisi de quitter la maison et vivre ma vie de mon côté, je me sens beaucoup plus forte et surtout depuis que Shawn est là. Sauf que quand je me retrouve en présence de Mahélie, on dirait que je redeviens la petite fille vulnérable et triste que j'étais et ça m'énerve au plus haut point.

Encore à jouer la victime. Ça ne cessera donc jamais ? Je suis parfaitement consciente qu'elle ne sautait pas de joie à voir les parents me rabaisser de la sorte. Je sais aussi très bien qu'elle ne posait pas des gestes délibérés pour que je me fasse punir, même si pour ce point j'en ai douté longtemps. Non. Mais le simple fait qu'elle avoue que c'était injuste, qu'elle dise qu'elle a soit disant tenté de parler aux parents, qu'elle sache que je n'ai pas reçu l'attention que je méritais, mais qu'au fond, elle n'ait jamais rien fait pour faire changer le résultat, ça me blesse. Encore plus que ce dont les parents ont pu me faire subir durant toute ces années.

Elle part comme ça. Non. Elle n'a pas le droit. Je n'ai pas fini de lui dire ce que j'ai sur le coeur. Je n'avais encore jamais pris la peine de réellement le faire et là, sans trop savoir pourquoi, les mots coulaient comme un déluge. Je sors de l'appartement pour la rattraper. Mon ton est beaucoup moins colérique, beaucoup plus triste. ''Je t'interdis de partir comme ça. Tu voulais savoir comment je vais et bien tu vas le savoir. Je vais mal, comme j'ai toujours été. Tu veux savoir ? Oui, les agissements des parents m'ont toujours détruites, mais les tiennes sont encore pires, tu veux savoir pourquoi ? Eux ils agissent sans vraiment s'en rendre compte. Ils ne m'aiment pas. C'est normal qu'ils ne réagissent pas quand ils me voient aussi triste. Au contraire, ça leur donne encore plus raison dans leur mentalité de se dire que je suis minable. Mais toi.. toi.. tu veux me dis que c'est injuste.. que tu n'aimes pas me voir comme ça.. mais tu n'as jamais rien fait de concret pour prendre ma défense. Tu as toujours gardé la tête baissée en voyant tout ça comme si tu ne pouvais rien y faire. C'est ce qui fait encore plus mal Mahélie.. depuis tout ce temps.. où étais-tu quand je pleurais dans mon lit toute seule tous les soirs hein ? Toi tu étais dans les bras de nos chers parents qui te cajolaient et te lisaient des histoires pour t'endormir..''

Incapable de continuer, les larmes coulaient trop vivement et j'en avait la vue brouillée. Trop d'émotions d'un coup, c'est pas facile à vivre sans parler du fait que là, je me montrais faible devant elle ce qui n'aidait pas à mon moral. Dans un soupire, je tourne les talons pour retourner dans mon misérable appart pour aller me jeter dans mon lit sans prendre la peine de fermer aucune porte derrière moi. 

C'est tellement facile maintenant de s'excuser en espérant que tout s'efface d'un simple mouvement de la main. Comme si c'était possible. Comme si le simple fait qu'elle me prenne dans ses bras me ferait me sentir mieux, ferait en sorte que j'oublie tout le mal qu'elle et mes parents m'ont fait. J'ai du mal à croire qu'elle puisse être aussi ignorante de la réalité. Comment peut-elle dire qu'elle n'était pas au courant d'à quel point j'ai pu souffrir. Elle était là, elle voyait comment ils me traitent. À ma place, elle aurait été dormir tout les soirs avec le sourire en faisant de beaux rêves tendres ? Sur le coup, je n'ai pas la force de la repousser parce qu'une petite partie de moi, bien enfouie, avait besoin de cet étreinte. Mes larmes coulent sans s'arrêter, un vrai déluge. Un peu comme si ma peine c'était accumulée pendant des années et que là, l'abcès percé, je suis incapable de retenir.

Pourtant, ma faiblesse est de courte durée parce que mon esprit reprend le dessus sur mes émotions et je réalise que je suis en train de me faire consoler par la principale responsable de toute cette histoire. Mahélie n'a sans doute pas demandé à venir au monde, mais moi je n'ai pas demandé à être le mouton noir. Si elle n'était pas là, j'aurais eu une famille aimante et je n'aurais jamais ressentie le besoin de faire tout un tas de conneries pour me faire remarquer, pour attirer l'attention. Je sais que je n'ai pas aidé ma cause en agissant ainsi, mais au point où j'en étais, je n'avais rien de mieux à avoir de leur part. Comme si je me réveillais d'une transe, je me redresse brusquement pour me lever de mon lit et la regarder avec haine ''Tu crois vraiment que je vais pardonner toute cette souffrance avec un simple câlin ? Je suis pas une peluche Mahélie. Depuis longtemps je me considère orpheline. Sans parent.. sans soeur et c'est pas demain la veille que ça va changer..'' Les bras croisés, je la fixe d'un regard noir.

Cette fois, je n'ai aucunement l'intention de la rattraper. Pourquoi le ferais-je ? Je me porte beaucoup mieux lorsqu'elle n'est pas autour de moi. Qu'elle garde son hypocrisie de petite fille parfaite dans son petit monde parfait avec sa petite famille parfaite et ses parfaites études en droit comme les parents l'ont toujours voulu. Oh oui, miss hypocrite. Comment peut-elle avoir le culot de prétendre qu'elle ne se doutait pas que je souffrais autant. C'est un gros foutage de gueule en fait. Il aurait fallu être aveugle ou complètement stupide pour ne pas se rendre compte du dédain que mes parents avaient pour moi et ils ne s'en cachait pas du tout. Même si j'essayais de rester forte et indépendante, n'importe qui pouvait se rendre compte que je n'étais pas heureuse. Évidemment, Mahélie vivait dans son petit cocon d'or et de soie, trop occupée à se faire dorloter pour se douter de quoi que ce soit.

Je suis aussi très en colère contre moi. Chaque fois, je me promets de rester forte, je me promets de ne plus me laisser atteindre par ce genre de conneries, mais c'est plus fort que moi, je m'écrase comme une larve sans colonne vertébrale. Une heure durant, je reste dans mon lit en position fœtal à pleurer. Des dizaines de scènes du passé me reviennent en mémoire et je me sens plus vulnérable que jamais. Lorsque mon corps est vidé de son eau salée, la première chose qui me vient en tête, c'est Shawn. Mon amour. Le seul qui réussit à réellement me faire sourire, le seul qui compte à mes yeux, le seul avec qui je me sens bien.

Il ne répond pas. Incapable de ne rien dire, je laisse un long message sur sa boîte vocale. Un discours expliquant tout ce qui vient de se passer entrecoupé de sanglots. Je sais qu'il va venir me voir. Il m'aime et il prend soin de moi. Dès qu'il prendra le message, il va accourir pour me prendre dans ses bras et me réconforter.