Nathan Greenwood, 26 ans, célibataire. C'est tout ce que je sais sur cet homme que je dois maintenant trouver. Je sais à quoi il ressemble et dans quel coin il vit. Je sais où il travaille. Cet homme doit mourir, pourquoi ? Je l'ignore. Ce cas en est un spécial, je sais très peu de chose sur ma proie, pas même la raison de la mise à mort. Mais mon client paie le prix fort pour que je ferme ma gueule et tue cet homme d'une manière précise. Cela doit avoir l'air, pour une raison mystérieuse, d'un meurtre, un vrai de vrai meurtre de psychopathe en fait. Normalement, mes clients me demandent de donner à mes crimes l'apparence d'un suicide. On me demande rarement de jouer les Jack l'Éventreur. Mais ça ne me dérange pas, ça change de l'habitude.

Cela doit faire plus de trois jours que je n'ai pas dormi. Peut-être beaucoup plus. Surement plus. Je n'ai jamais été aussi fatigué de toute ma vie, c'est quasiment impossible. J'ai passé de plus longue périodes sans sommeil autrefois... Comment se fait-il que ma vision soit aussi brouillée ? Je grogne en me frottant les yeux, éclaircissant ma vue.

Le voilà. Je le reconnais, c'est bien l'homme de la photo. Il marche vers la maison. Celle que je dois surveiller, là où l'homme habite. Cela doit donc bel et bien être lui. Parfait, parfait... Maintenant... Le tuer. À la main en plus. Parce que mon employeur est strict sur la question, aucune arme à feu. J'ai donc un immense couteau de cuisine entre les mains. J'avance vers l'homme qui marche à sens inverse sur le trottoir, cachant le couteau dans mon dos. Je perds légèrement l’équilibre sous la fatigue, mais je me reprends. Je dois tuer cet homme, ensuite, je dormirai. Je sais déjà que les voisins ne sont pas là et qu'il n'y a aucune caméra dans le coin. Un petit meurtre et c'est fini. Allez Liam, tu peux le faire !

Le voilà, le voilà. Il va enfin passer à ma portée, je vais pouvoir frapper... Je vais le tuer d'un coup de couteau. Non, je crois que je vais l'assommer et le traîner dans l'ombre de sa propre entrée, pour que personne ne trouve le corps trop vite, puis le tuer. Oui, ça me parait une meilleure idée ; ça laissera moins de trace. Je n'aurais ensuite qu'à lui voler son porte-feuille, pour faire croire à un vol qui aurait mal tourné. Je soupire un peu, le temps semblant s'étirer alors que l'homme, ma proie, s'approche de moi. Plus que quelques pas... Quelques pas...

Quelques pas. Quelques pas me séparent de l'homme, il pourrait me voir s'il me prêtait attention. Mais qui s’inquiéterait d'un enfant ? Même armé, un enfant n'est jamais bien menaçant, surtout pour un homme aussi sérieux que celui-ci. Je suis invisible, comme toujours. Qui remarque un enfant affamé parmi tant d'autre ? Qui penserait à lui donner une arme, une raison de vivre ? Qui pourrait imaginer pareille arme de guerre, un enfant assassin ? Une idée aussi tordue ne peut venir que d'un être tout autant fou, mais je n'en ai cure. Il m'a donné, non seulement un but et un arme, mais quelque chose à manger, une chance de survie. Et il s'occupe de ma mère. En lui fournissant des clients, peut-être, mais, au moins, cela signifie qu'elle fait de l'argent, que nous mangeons à notre faim. On sous-estime trop souvent les pauvres, mais ce sont eux qui ont la plus grande volonté, le plus grand désir de vivre. Je veux vivre et si, pour ça, je dois tuer cet homme, je le ferai. Je place la tête de l'homme dans ma mire et enlève la sécurité, pressant mon doigt contre la détente. Je prends un instant, inspire longuement, puis tire. Je l'atteint en pleine tête, comme prévu. Je ne prends pas le temps de vérifier qu'il est bien mort - on survit rarement d'une balle dans le cerveau - et je pars à la course dans une ruelle. Personne ne m'a vu, personne ne cherchera non plus un enfant ; ils penseront que le tueur est adulte, bien entendu. J'ai tué. J'ai tué quelqu'un.

Je secoue la tête, me concentrant sur l'instant présent. Je ne devrais pas ressasser ces vieux souvenirs, le souvenir de ma première cible, le jour où j'ai définitivement perdu toute innocence. L'homme me dépasse, merde ! Je me suis trop perdu dans mes pensées, mais j'ai toujours une chance de me rattraper. Je me tourne vivement, l'individu est à peine deux pas derrière moi, et assène mon poing sur la base du crâne de ma proie, juste assez fort pour le faire sombre dans l'inconscience. Je le rattrape de mon mieux par les aisselles et le traîne là où j'avais prévu de l'amener : dans son entrée, sur le côté de la maison, une portion de l'entrée cachée dans l'ombre.

J'approche mon couteau de la gorge de l'homme, mais me fige juste à temps. MERDE ! Merdemerdemerdemerdemerde ! Ce n'est pas du tout le bon type ! Oh, la boulette ! J'espère que je ne l'ai pas blessé sérieusement à la tête ! Quel con ! Depuis que je fais mon métier jamais je ne me suis trompé ! Jamais ! J'ai vraiment besoin de dormir plus souvent. Oh la la, le voilà qui se réveille. Je jette mon couteau plus loin, dans de jeunes conifères au feuillage - enfin, épines - bas, où il disparaît. Je ramène mon attention sur ma pauvre victime qui s'éveille. Comment est-ce que je vais me sortir de cette merde ? J'espère qu'il ne souviens pas que je l'ai frappé, Dieu, faites qu'il ne s'en souvienne pas. Je pourrais alors dire que je suis tombé ou je ne sais pas trop, que je l'ai accidentellement frappé.

Je retiens les épaules de l’homme pour qu’il ne remue pas trop. J’espère qu’il n’a pas de commotion, Ô Dieu, faites qu’il n’ait pas de commotion ! Que suis-je supposé lui dire maintenant ? Que j’ai tenté de le tuer par erreur ? Non, bizarrement, je sens que c’est une mauvaise idée… Je pourrais dire adieu à ma liberté d’agissement après que cet homme ait rapporté à la police ma description tout en leur expliquant que je suis un tueur à gage qui a tenté de le tuer par accident. Non, il me faut quelque chose de mieux que cela, une excuse qui soit valable. Ou alors…

-Ne bougez pas monsieur, vous êtes peut-être blessé sévèrement à la tête. Je rentrais chez moi et j’ai vu cet homme arriver discrètement dans votre dos ; il vous a assommé et vous a emmené dans ce coin sombre. Heureusement, quand il m’a vu approcher pour vous venir en aide, il s’est enfui. Vous vous sentez comment ? Vous voulez que j’appelle une ambulance ? La police peut-être ?, déballais-je d’une traite en sortant mon téléphone cellulaire.

J’ai toujours été doué pour jouer la comédie ; je ne serais pas un bon assassin sinon. Je passe donc nerveusement la main dans mes cheveux en affichant un air inquiet. En fait, je n’ai presque pas à simuler l’inquiétude. Je ne m’en prends pas aux innocents, je ne tues pas sans contrat. Si cet homme devait mourir à cause de moi, je ne me le pardonnerais jamais.